« La langueur, la beauté de cette forme élancée que nous avions sous les yeux, d’où venaient-elles, sinon du fait qu’il n’était pas un homme ? Car nous lui avions amené Henia comme on amène une femme à un homme, mais lui n’était pas encore... il n’était pa un mâle. Et donc pas un seigneur. Pas un maitre. Et il ne pouvait posséder. Rien ne pouvait lui appartenir, il n’avait doit a rien, il était encore celui qui doit servir, obéir. »
Tout cela ne dura que quelques secondes. Il ne se passa rien d’ailleurs : nous nous tenions tous quatre comme figés. Frédéric dit, en désignant du doigt à Karol le pantalon un peu trop long du garçon, qui traînait par terre :
― Dites donc, il faudrait retrousser les jambes.
― C’est vrai, dit Karol.
Il se pencha. Frédéric dit :
― Une seconde.
Visiblement, ce qu’il avait à dire ne venait pas tout seul. Il se détourna un peu pour ne pas leur faire face et regardant droit devant lui, d’une voix enrouée mais distincte, dit :
― Non, attendez. Elle peut le faire, elle.
Il répéta :
― Elle peut le faire, elle.
L’impudeur de cette exigence - c’était comme de pénétrer en eux par effraction - recelait l’aveu : c’est cette excitation que j’attends de vous, faites-le, c’est ce que je veux, ce que je désire... Il les introduisait ainsi dans la dimension de notre désir, du désir que nous avions d’eux, l’espace d’une seconde leur silence en frémit. Ce qui suivit fut à ce point simple et facile, oui, « facile » que la tête m’en tourna, comme si un abîme s’ouvrait brusquement sous mes pas. Elle ne dit rien. Mais, s’étant penchée jusqu’à terre, elle releva les jambes du pantalon. Lui n’avait même pas bougé ; le silence de leurs corps était absolu.
Me frappa soudain avec une force angoissée la nudité étrange de cette cour de ferme, avec les timons des charrettes à ridelles pointant vers le ciel, l’abreuvoir fendu, la grange récemment couverte de chaume frais, tache claire sur le fond brunâtre du sol battu et du bois entassé. Frédéric fit tout aussitôt :
― Allons !
Et nous rebroussâmes chemin vers le château, lui, Hénia et moi. L’effronterie devenait encore plus manifeste. Puisque nous repartions aussitôt, notre présence sous le hangar ne signifiait qu’une seule chose : nous étions venus pour qu’elle puisse lui remonter les jambes de son pantalon et maintenant nous repartions, Frédéric, moi, elle. Le château apparut avec ses fenêtres, ses deux rangées de fenêtres, en bas, en haut, et sa véranda. Nous marchions en silence.
Nous entendîmes courir derrière nous sur l’herbe, Karol nous rattrapait et se mêla à nous. Encore essoufflé, il épousa aussitôt notre rythme : il marcha d’un pas calme et tranquille, à côté de nous.
La Pornographie, chapitre IV