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Jeunesse, Varsovie (1911-1928)


1911
La famille Gombrowicz s’installe à Varsovie au N°3 de la rue Służewska, dans un quartier élégant, près du parc de Łazienki.

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A gauche : l’immeuble du 3 rue Służewska, juste après sa construction en 1905. A droite : Le quartier de la rue Służewska, Varsovie 1930.

Pendant les vacances, il retourne à la campagne, où « le drame commençait ».

Je m’étais lié d’amitié avec divers garçons de mon âge, fils de paysans et de valets d’écurie. [...] Vers ma dixième année, Janusz m’avait constitué une garde rapprochée, c’est-à-dire un détachement de petits campagnards que je commandais. Dès cette époque je subissais bien sûr un supplice terrible lorsque pendant l’exercice ma mère ou ma gouvernante m’interpellait de loin en me conjurant de ne pas me mouiller les pieds ou en me demandant si je n’avais pas froid.
Souvenirs de Pologne
La Mère : Te rends-tu compte que tu vas nous rendre malades tous les deux, et moi et toi ! Microbes ! Bacilles ! Microbes partout ! De ton pied nu tu foules la terre ! Horrible saleté, le ruisseau et la boue, poubelle et pourriture ! Comment peut-on, de son pied nu, toucher le monde ! Te rends-tu compte de ce que c’est le monde ?
L’Histoire (Opérette)
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Władysław Podkowiński : « La campagne humide » (1892) et « Les enfants dans un jardin » (1892).

 

1914
À la déclaration de la Première Guerre mondiale, les Gombrowicz sont retenus à la campagne, à Małoszyce. La région est le théâtre d’opérations militaires.

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Les légions de Józef Piłsudski en campagne pendant la Première Guerre mondiale, dessin de Józef Świrysz-Ryszkiewicz.

Le front, je crois, est passé quatre fois par chez nous, aller, retour, le grondement lointain puis de plus en plus proche du canon, les incendies, les armées qui s’enfuient, les armées qui avancent ; la fusillade, des cadavres près de l’étang, et aussi les longues haltes des détachements russes, autrichiens, allemands - nous, les garçons, nous nous amusions à ramasser les cartouches, les baïonnettes, les ceinturons, les chargeurs. L’odeur de la brutalité devenait envahissante, excitante, quoique le monde des maîtres auquel j’appartenais me préservât du contact immédiat avec la guerre.
Testament. Entretiens avec Dominique de Roux

 

1915
À onze ans, Witold Gombrowicz entre au « très aristocratique » lycée Saint-Stanislas-Kostka de Varsovie.

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Witold Gombrowicz, écolier.

J’étais entré en seconde, j’étais donc un des plus jeunes et, comme j’avais un tempérament turbulent et taquin, je fus très vite en butte aux coups de poing et de pied de mes camarades, sans parler des supplices plus élaborés : « tire-bouchon », « ciseaux simples et doubles », « nelson », etc.[...] Mais tout cela ne me fit cependant pas dégringoler au rang des chiffes molles.
Souvenirs de Pologne


Witold élève deux rats blancs, expérience qui lui inspirera plus tard un conte, Le Rat.


Il se passionne pour les romantiques polonais Zygmunt Krasiński et Juliusz Słowacki, ainsi que pour les romans d’aventures de l’Allemand Karl May, créateur du personnage de Winnetou.

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1918, photo de classe au lycée Saint-Stanislas-Kostka. Witold Gombrowicz, rang du milieu, premier à gauche, debout, avec la cravate.


Il rencontre Tadeusz Kępiński, son futur biographe, qui se souvient :

Il m’est apparu comme un garçon différent de mes camarades d’école. Il avait des veinules bleues sur les tempes, un front haut et blanc, des yeux brun clair et des cheveux blonds. Un nez droit, des lèvres rouges, légèrement entrouvertes. N’eussent été ses oreilles assez grandes, on aurait pu le déguiser en fille. Il ne prononçait pas les R, c’est pourquoi j’ai aussitôt éprouvé avec lui une sorte de fraternité dans la déficience.
Tadeusz Kepinski, Witold Gombrowicz et le monde de sa jeunesse
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Illustrations de « L’Uniforme bleu » de Witold Gomulicki, classique polonais de la littérature pour la jeunesse, paru en 1905.

 

1916-1917
Les trois pays qui avaient occupé la Pologne pendant plus de cent ans se désagrègent : la Russie est secouée par la révolution bolchévique, l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne sont en train de perdre la guerre. Józef Piłsudski, à la tête des Légions polonaises, entreprend le combat pour libérer la Pologne.

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Józef Piłsudski, héros de l’indépendance polonaise (J. Malczewski, « Portrait du brigadier Józef Piłsudski », 1916.) – La lutte pour la renaissance de la Pologne pendant la Première Guerre mondiale (W. Kossak, « La charge des ulhans à Rokitna en juin 1915 »).

Dans ces années-là, la Guerre mondiale suscita en moi une nostalgie incurable de l’Occident [...] Je suivais avec passion les modifications de la ligne du front et marquais au crayon sur la carte, très solennellement, chaque village pris là-bas, du côté de Reims et d’Amiens - comme si de cela devait dépendre l’issue de la guerre. L’Europe commençait pour moi au-delà de ce front ; les Russes et les Allemands constituaient une réalité secondaire, ridicule, barbare, qui me séparait de l’autre - de la civilisation.
Souvenirs de Pologne

Alors que Witold Gombrowicz entre dans l’adolescence, le sentiment d’étrangeté par rapport à son propre milieu grandit.
La problématique infériorité/supériorité le ronge : cette expérience existentielle deviendra un des thèmes majeurs de son œuvre.

Oui, je détestais le salon, j’adorais en secret l’office, la cuisine, l’écurie, les valets d’écurie, les filles de ferme – quel marxiste je faisais alors –, et ma sexualité tôt éveillée, nourrie de guerre, de violence, de chants de soldats et de sueur m’enchaînait à ces corps encrassés par leur dure besogne. L’infériorité devint pour toujours mon idéal.
Testament. Entretiens avec Dominique de Roux

 

1918
À la fin de la Première Guerre mondiale, le 11 novembre, l’indépendance de la Pologne est proclamée, après plus de cent vingt ans d’inexistence politique. Józef Piłsudski en devient le chef du gouvernement.

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Varsovie 1918 : la foule fête la fin de la guerre en enlevant les enseignes allemandes – Une affiche patriotique de 1918 « La patrie vous appelle ! Achetez des bons du Trésor nationaux » (B. Nowakowski) – La Pologne réapparaît dans ses nouvelles frontières : le découpage administratif de 1921.

Quelle magnifique année que cette année 1918. J’étais encore trop jeune pour saisir toute la beauté de ce final de la Première Guerre mondiale - infiniment plus chargé de poésie que celui de la Seconde. C’était un réveil émouvant et prometteur, l’espoir d’une nouvelle vie, l’effondrement des trônes, de la mode des collets raides, des moustaches et des préjugés « d’honneur », la liberté du corps venait compléter celle de l’esprit.
Souvenirs de Pologne

"Sex-Appeal", foxtrot polonais composé par Henryk Wars et chanté par Adam Aston en 1937, évocateur de la libération des mœurs durant l’entre-deux-guerres.


Witold Gombrowicz passe ses après-midi chez ses amis Antoni et Kazimierz Baliński, rue Wiejska, dont le père sénateur préside le cercle scolaire. Ce sera pour lui, durant toutes ses années de formation, une sorte de famille d’élection.


1919

Je n’étais qu’en sixième classe que j’allais jeter des coups d’œil dans la Critique de la raison pure de Kant.
Testament. Entretiens avec Dominique de Roux

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La découverte de la philosophie : Kant, Schopenhauer, Nietzsche et Scheler.

C’est la lecture de Nietzsche et de Schopenhauer qui marque le plus le jeune Witold Gombrowicz ; il gardera une grande admiration pour ces deux philosophes jusqu’à la fin de sa vie. Il lit aussi les grands classiques de la littérature mondiale et polonaise et des romans d’aventures.

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Witold continue à se passionner pour la philosophie : Hegel et Russell.

Witold Gombrowicz s’intéresse, avec son frère Jerzy, aux récits de combats navals et à la généalogie.

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1920
La guerre polono-bolchevique bat son plein. En août, l’armée polonaise brise l’offensive de l’Armée rouge, près de Varsovie. Alors que son frère Jerzy se porte volontaire dans la cavalerie, Witold Gombrowicz, empêché par sa mère d’accomplir « son devoir », est envoyé dans une institution civile chargée d’expédier des colis aux soldats.

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La guerre de 1920 : « Hé, Polonais, prends ta baïonnette ! » et « Aux armes. Sauvons la patrie ! Pensons fort à notre avenir ! » - Jerzy Gombrowicz, frère de Witold Gombrowicz, en soldat de l’armée polonaise dans les années 1920 - Les scouts polonais à cette époque.

L’année 1920 a fait de moi un être « pas comme les autres », isolé, vivant en marge de la société. [...] Cette rupture d’avec le groupe, la nation, m’obligeant à chercher par moi-même une voie et une vie qui me soient propres, commença à se faire en cette mémorable année de la bataille de Varsovie.
Souvenirs de Pologne
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A gauche, le blason de la famille paternelle Gombrowicz – Kościesza. A droite, le blason de la famille maternelle Kotkowski - Ostoja.


Witold commence son histoire familiale Illustrissimae familiae Gombrovici, son premier écrit non scolaire.

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Fragment de son arbre généalogique, dessiné par lui-même en 1952.

 

1922
Witold Gombrowicz prépare son baccalauréat, appelé en polonais « le certificat de maturité ». Il intitulera plus tard son premier livre : Mémoires du temps de l’immaturité.


La problématique de l’immaturité/maturité deviendra un de ses thèmes majeurs.

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Quelques lectures de jeunesse : Montaigne, Shakespeare, Rabelais, Goethe.


Witold est un grand lecteur. Pascal, Rabelais, Montaigne, Shakespeare, Dostoïevski, Thomas Mann et Alfred Jarry deviennent ses auteurs de référence.

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Fiodor Dostoïevski, Alfred Jarry, Thomas Mann.


Le bachelier Itek obtient les notes suivantes au baccalauréat : « excellent » en polonais, « bon » en religion et en histoire, pour tout le reste juste « suffisant ».

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« Świadectwo dojrzałości » : le certificat de la maturité.


Il s’inscrit à la faculté de droit de Varsovie.

Je ne fréquentais pas les cours. Mon valet, plus distingué que moi, assistait aux cours à ma place.
Witold Gombrowicz, Cahier de L’Herne


Witold Gombrowicz ironise ici bien entendu : il n’avait aucun valet.


Il s’intéresse au droit romain. Son ami Tadeusz Kępiński l’entraîne aux cours du logicien réputé Tadeusz Kotarbiński.


1923

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Witold avec un garde chasse à Potoczek.


De petites fièvres d’origine pulmonaire amènent Witold Gombrowicz à faire des séjours à la montagne, à Zakopane dans les Tatras, ou à la campagne, à Potoczek dans la Pologne centrale, chez son frère Janusz. Ces deux endroits deviendront ses lieux de villégiature préférés.

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Janusz Gombrowicz, le frère de Witold et le propriétaire de Potoczek, avec son fils Józef.


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Chasse à Potoczek. Witold Gombrowicz, à la différence de ses frères, n’aimait pas du tout cette distraction typique de la noblesse terrienne.


Dans la « solitude totale des forêts », Witold Gombrowicz commence à écrire l’histoire d’un comptable, son premier roman, qu’il détruit aussitôt.


Avec Tadeusz Kępiński, il entreprend d’en écrire un autre, inspiré de la mauvaise littérature sentimentale.

À quatre mains, un roman à sensation, afin de gagner plein de fric [...] Cette idée de mauvais roman fut l’apogée de toute ma carrière littéraire - jamais, ni avant ni après, je n’ai conçu d’idée plus créatrice [...]. Mon projet [...] consistait à se donner à la masse, à se rabaisser, à devenir inférieur - non seulement à décrire l’immaturité, mais à écrire avec elle.
Souvenirs de Pologne

 

1924
Jerzy Gombrowicz, le frère de Witold, se marie et s’établit à Wsola, près de Radom, où Witold séjournera souvent et écrira en grande partie les nouvelles de Mémoires du temps de l’immaturité et son premier roman Ferdydurke.

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Le manoir de Wsola à l’époque. Witold Gombrowicz (assis à droite) avec son frère Jerzy et la femme de celui-ci, Aleksandra née Pruszak (assis sur la balustrade de gauche), propriétaires du domaine. Sur la photo de droite, leur fille Tereska sur les genoux de Witold.


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Wsola aujourd’hui, la seule maison familiale des Gombrowicz qui existe encore. Elle abrite aujourd’hui le musée Witold Gombrowicz.


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La fratrie réunie : assis, Witold Gombrowicz et sa sœur Rena. Derrière eux, à droite Jerzy, Aleksandra et la petite Teresa, à gauche, Janusz et Franciszka avec leur fils Józef.

 

1926
Witold Gombrowicz travaille sur un texte très personnel et audacieux qu’il n’ose montrer qu’à une amie, Mme Szuch, qui lui conseille de le détruire, ce qu’il fait aussitôt.

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Witold à Wisła, avec une jeune lycéenne, Krystyna Maryanska-Zgrzebnicka.

Pendant les vacances, il flirte avec une jeune lycéenne à Wisla, dans le sud de la Pologne.

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Krystyna Janowska, le premier amour de Witold.

Witold Gombrowicz tombe amoureux de Krystyna Janowska, jeune fille du manoir voisin de celui de son frère à Wsola.

La passagère que j’avais emmenée causait plus de bonheur encore que le ballon. Au-dessus des prairies, des champs et des bosquets, je faisais connaissance pour la première fois de ma vie, je faisais connaissance, sans arrêt et de plus en plus près, et elle m’écoutait si volontiers que j’aurais embrassé mille fois sa petite oreille attentive et compréhensive. Toutefois, bien que les femmes passent pour aimer le romantisme, je ne lui parlai pas de Nègre ni de mes autres aventures, à cause de la honte inexplicable et brûlante qui m’avertissait de ne pas trop en dire. Vint le jour où nous échangeâmes les anneaux, puis celui du mariage approcha.
Aventures
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Witold Gombrowicz joue au dandy avec ses cousins, Inia Skibniewska et Gutek Kotkowski.

Sa famille veut le fiancer, semble-t-il à une jeune comtesse, une amie de sa sœur, mais Witold se dérobe.


1928
Ayant obtenu sa licence en droit, Witold Gombrowicz est envoyé par son père en France pour continuer ses études. Il s’inscrit à l’Institut des hautes études internationales à Paris mais ne fréquente pas les cours. Il fait son « pèlerinage au cœur de l’Europe » : il part en mai pour un séjour d’un an en France. À Paris, il habite rue Belloy, près de l’avenue Kléber, et mène une « vie désordonnée ».

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Paris bohème vu par le photographe André Kertesz : « Bistrot », « Le café du Dôme », « Paris 1927 ».

Si je voulais trouver quelques mots pour résumer mon séjour à Paris, ce serait certainement ceux-là : marcher dans les rues. Même pas de la flânerie. De la marche.
Souvenirs de Pologne
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Les Invalides, le tombeau de Napoléon.

Un jour que je marchais dans une rue parisienne, j’entrai dans une église pour m’abriter de la pluie. J’aperçus avec étonnement quelque chose qui ressemblait à un puits avec, au fond, un catafalque. Je regardai, puis sortis, car la pluie avait cessé. Des années plus tard, j’appris qu’il s’agissait du tombeau de Napoléon.
Souvenirs de Pologne
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Au Louvre.

Le monde artistique m’attirait par sa liberté et son éclat, mais il me rebutait moralement et physiquement. Cette visite au Louvre n’était donc pas si innocente que cela. Escaliers. Statues. Salles.
Souvenirs de Pologne


La Joconde.

Certes, le visage de la Joconde est beau ! Mais quel profit en tirons-nous ? Il est beau, mais il rend affreux les visages de ses admirateurs. Sur le tableau : beauté - mais devant le tableau : snobisme, bêtises, effort hébété pour saisir quelque chose de cette beauté puisqu’on vous a informé que beauté il y a.
Souvenirs de Pologne

Witold Gombrowicz fait connaissance du Chinois Chou qui l’entraîne dans les cafés estudiantins du Quartier Latin, où il polémique avec des Parisiens, prenant par les cornes « le taureau de la supériorité occidentale » pour la première fois.

En tant que Polonais, en tant que représentant d’une culture moins forte, il me fallait défendre ma souveraineté - je ne pouvais pas permettre que Paris l’emporte sur moi !
Souvenirs de Pologne

Witold Gombrowicz part ensuite pour quelques mois dans les Pyrénées. Il passe six mois à Vernet-les-Bains, Le Boulou, Port-Vendres et Banyuls qui lui apportent l’éblouissement du Midi. Il vit une révélation en apercevant la Méditerranée.

Ce que n’avaient pas réussi à faire toutes les cathédrales et les musées de Paris, ce ruban de route vertigineux, qui piquait droit sur la mer, le fit : je compris soudain le Sud, la France, l’Italie, Rome et mille autres choses, tout cela me devint pour la première fois précieux.
Souvenirs de Pologne
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Près de Banyuls.

Il « fréquente des amis qui s’adonnent à la traite des blanches. On veut l’emprisonner. Il est sauvé de la prison par l’intervention de l’abbé Barcelo qui deviendra son ami », selon la biographie rédigée par Witold Gombrowicz pour le Cahier de l’Herne qui lui est dédié.