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Glowinski : La fabularisation des stéréotypes

Glowinski : La fabularisation des stéréotypes


Michał Głowiński : A la charnière de l’« être-des-nôtres » et de l’« intrus », dans Gombrowicz ou la Parodie constructive, trad. Maryla Laurent, éd. Noir sur Blanc, Paris, 2002.

Extrait :



La fabularisation des stéréotypes, je le répète, est quelque chose de très différent. Il ne s’agit pas de situations fabulaires schématiques, même si celles-ci peuvent intervenir. Ce qui est important, c’est que ces poncifs deviennent des indicateurs spécifiques des actions du protagoniste ou de leurs composantes. Sous divers aspects, ne serait-ce que lorsque le héros considère un lieu commun comme déterminant pour sa manière d’être [1] et d’agir et se conduit en conséquence, non seulement comme s’il voulait se conformer au cliché, mais comme s’il considérait que celui-ci définit un cercle idéal qu’il est, pour une raison ou une autre, de son devoir d’atteindre. C’est ce qui se passe dans les Mémoires de Stefan Czarniecki.
Dans la dialectique de l’« être-des-nôtres » et de l’« intrus », tellement importante dans ce récit, tellement spécifique, la plupart des stéréotypes se concentrent du côté de « notre nation polonaise ». Ils doivent se révéler dans la confrontation avec ce qui est considéré comme un emblème de l’« intrus » ; en l’occurrence, cette marque est la naissance au sein d’un couple biconfessionnel et ce, en dépit du fait que la mère soit une convertie, une catholique pieuse.
Une comparaison s’impose ici avec une œuvre que Gombrowicz pouvait connaître. Dans l’entre-deux-guerres, le roman de Jacques de Lacretelle, Silbermann [2], bénéficiait d’un grand succès dans sa version polonaise précédée d’une préface intéressante signée d’Ostap Ortwin. Une situation assez radicalement différente de celle des Mémoires y est présentée. Le vécu d’un jeune garçon juif, fréquentant un lycée français renommé, y est raconté, non par celui qui prête son nom à l’ouvrage, mais par un camarade du lycéen, un Français de souche, fils d’une riche famille bourgeoise aux inclinations nationalistes. Pour ce narrateur, le héros est la personnification de tout ce qui est étranger aux yeux de la communauté scolaire, il devient une sorte de mythe ; de ce fait, le narrateur réfléchit aux stéréotypes qui empêchent l’intégration de cet « intrus », l’histoire du lycéen n’évolue pas comme elle aurait dû et finit par tourner au drame. Les stéréotypes de l’« être-des-nôtres », présents également car sans eux parler de l’« autre » eût été difficile, sont relégués au second plan.
Chez Gombrowicz, c’est l’inverse. C’est ce qui est « autre » qui est travesti pour révéler les clichés (en l’occurrence la révélation équivaut à de la parodie) qui composent le cercle de l’« être-des-nôtres ». Intervient alors un mécanisme connu dans presque toute l’œuvre de Gombrowicz, particulièrement apparent dans Trans-Atlantique où le monde « autre », étranger, est important parce qu’il permet de dénoncer les stéréotypes de l’« être-des-nôtres » dans toute l’absurdité de leur ordre conventionnel. Dans les Mémoires de Stefan Czarniecki, le héros principal est un hybride, il se prête donc parfaitement à une démonstration où se voient dénoncés les stéréotypes de l’« être-des-nôtres ».
Stefan Czarniecki les considère pourtant comme siens, ils font en quelque sorte autorité, il veut se conformer à ce qu’ils expriment. C’est précisément cette incorporation des clichés dans les actes et les attitudes que j’appelle fabu-larisation du stéréotype. Ainsi par principe, le narrateur n’instaure aucune mise à distance avec le cours du professeur qui répète des lieux communs jusqu’à les rendre cruellement caricaturaux ; il doit les accepter en toute crédulité. Il ne s’agit pas uniquement des opinions exprimées avec des mots ; aux poncifs idéologiques répondent des stéréotypes béhavioristes qui déterminent la conduite du héros. Stefan Czarniecki souhaite respecter les clichés tant dans ses gestes amoureux que militaires, être en cela pareil à tous ceux qui personnifient « naturellement » cette appartenance à l’« être-des-nôtres » et correspondent à la représentation que s’en fait la noblesse polonaise. Ce qui dans leur conduite est naturel, devient simulacre chez lui.


[1] Comme l’écrit Zdzisław Łapiński, la signification en est accrue d’autant plus que « l’auteur ne s’intéresse pas aux détails pris isolément, ni à leur système, mais aux usages en tant que tels et donc à certaines caractéristiques de la langue des attitudes en général ». Zdzisław Łapiński, « Zachwycająco złe opowiadania » [Des récits merveilleusement mauvais], postface à W. Gombrowicz, Bakakaj.

[2] Le roman de Jacques de Lacretelle (prix Fémina 1922 ; l’auteur s’y penche sur l’« âme juive », une question à la mode en France depuis l’affaire Dreyfus), est publié à Lvov en 1925 dans une traduction polonaise de Kazimierz Rychlowski et une préface d’Ostap Ortwin.