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Kepinski : La mère d’Itek

Kepinski : La mère d’Itek

Tadeusz Kępiński : Witold Gombrowicz et le monde de sa jeunesse, trad. du polonais par Christophe Jezewski et Dominique Autrand, éd. Gallimard, coll. « Arcades ».

Extrait :



La mère d’Itek assommait tout son entourage en lui prodiguant son assistance médicale, fondée sur des notions qui lui étaient très personnelles. La connaissant, je suppose que son hypersensibilité sur le chapitre de la santé, motivée sans doute par la faiblesse des poumons que ses trois fils avaient héritée d’elle, la poussait à exercer délibérément une surveillance préventive un peu excessive sur sa famille. Elle savait bien que ses enfants n’appliqueraient qu’une petite partie de ses consignes médicales. Comme elle avait une peur panique de la maladie, elle avait élaboré son propre système de prophylaxie et de traitement des indispositions réelles et supposées. C’était un mélange de savoir populaire, de traditions familiales, de science médicale et d’inventions personnelles. Une vraie malade imaginaire. comme disait Jerzy.
Mme Gombrowicz croyait aux vertus de l’alimentation. Elle manifestait là un certain bon sens, car les temps étaient durs pour l’approvisionnement. À cet égard, la maison de la rue Sluzewska était dirigée selon des critères campagnards. Cela aboutit, hélas, à une suralimentation de toute la famille. M. Gombrowicz avait une petite bascule pèse-personne près de son lit, sur le plancher, où il surveillait chaque jour les oscillations de son embonpoint. Un jour qu’il se pesait à côté de moi, je l’entendis murmurer avec du chagrin dans la voix : « Je voudrais tellement descendre en dessous des cent kilogrammes. » Un rêve irréalisable, et pourtant il n’en avait pas l’air. Un jour, au cours du dîner, je m’aperçus qu’Itek avait englouti quatre grands épis de maïs, puis la moitié d’un poulet. Même le très discret Kazio l’avait remarqué. Normalement, après deux épis on était complètement repu.
Itek se trouvait dans une situation particulièrement délicate car, à l’époque qui nous concerne, il était l’objet privilégié de l’attention et des expériences de sa mère. Il devait inventer ses propres méthodes de défense, parfois très efficaces. Un jour, comme nous mangions des pommes, j’ai remarqué qu’il laissait des pelures d’un doigt d’épaisseur. J’étais surpris mais, bien sûr, je n’ai rien dit. Soudain, il s’est mis à manger le tas de pelures qui restait sur le bord de son assiette.
Je lui ai suggéré de manger plutôt les pommes.
« C’est ce que je fais justement, m’a-t-il répondu.
— Mais alors, pourquoi les as-tu épluchées ?
— J’ai donné ma parole d’honneur à ma mère que j’éplucherais les fruits. »
Cela dit, je repense à sa mère presque chaque jour, en me rappelant une prescription qu’elle m’a donnée il y a des années. Salutaire, en effet : « Si tu viens d’éternuer, mouche-toi aussitôt. Il n’y aura pas de rhume. » Je lui avais demandé où elle avait trouvé ce précepte. « Auprès des vieilles gens. Cela se transmet de génération en génération. »
Je devinais que Mme Gombrowicz, très discrètement, faisait beaucoup de bien autour d’elle. Sa fille a hérité d’elle cette « faiblesse ».