« C’est avec émotion que je me reporte vers toi par la pensée, ô mon enfance ! »
Mémoires de Stefan Czarniecki |
4 août : naissance de Marian Witold Gombrowicz dans le domaine de Małoszyce, propriété de son père, à 200 km au sud de Varsovie près de Sandomierz.
Son père, Jan Onufry Gombrowicz (1868-1933), est d’origine lituanienne.
« Mon père ? Un bel homme, grand, racé, très correct et ponctuel, méthodique, sans horizons très vastes, peu sensible aux choses de l’art, catholique pratiquant, mais sans excès. »
Testament. Entretiens avec Dominique de Roux |
Sa mère Antonina, née Kotkowska (1872-1959), est fille de propriétaires terriens de la Pologne centrale.
« Ma mère, en revanche, se distinguait par un tempérament extraordinairement vif et une imagination fertile. Nerveuse. Exaltée. Inconséquente. Incapable de se contrôler. Naïve et, qui pis est, nourrissant sur elle-même des idées tout à fait erronées. »
Souvenirs de Pologne |
Jan Onufry Gombrowicz administrait une partie des domaines appartenant d’abord à sa belle-famille, mais il travaillait également dans l’industrie. Il a aussi créé une fabrique de papier appelée « Witulin » du nom de son fils cadet qui devait en être l’héritier.
Au début du siècle, nous étions une famille déracinée, dont la situation sociale n’était pas tout à fait claire, entre la Lituanie et la Pologne du Congrès, entre la terre et l’industrie, entre ce qu’on appelle la « bonne société » et une autre, plus moyenne. Ce ne sont là que les premiers de ces « entre » qui par la suite se multiplieront au point de presque devenir ma résidence, ma vraie patrie.
Testament. Entretiens avec Dominique de Roux |
« Il régna toujours dans ma maison natale - malgré les apparences - une grande dissonance, qui ne cessa de déchirer mes oreilles d’enfant. Il y avait à cela de nombreuses raisons, l’une des principales étant l’incompatibilité de tempérament et de caractère entre ma mère et mon père. »
Souvenirs de Pologne |
Witold a deux frères aînés, Janusz (1894-1968), Jerzy (1895-1971), et aussi une sœur, Irena toujours appelée Rena (1899-1961).
Il est élevé dans la religion catholique, par des gouvernantes française et suisse : Mlle Jeannette et Mlle Zwieck.
« J’étais en effet le petit dernier choyé de ce qu’on nomme une famille « respectable » - mais le mot « respectable » doit être entendu sans nuance ironique, car c’était une maison de gens très braves et qui avaient des principes. »
Souvenirs de Pologne |
Durant l’été, la famille Gombrowicz quitte Małoszyce pour Bodzechów, dans la même région, domaine du grand-père maternel Kotkowski, qui inspirera plus tard le décor des romans Les Envoûtés et La Pornographie.
Accusé d’appartenir à la fraction révolutionnaire du Parti socialiste polonais, Jan Onufry Gombrowicz, le père de Witold, est arrêté et condamné à deux ans de forteresse, mais il reste en liberté.
« Voici une scène qui m’est souvent revenue à la mémoire : le valet de ferme en veston, tête nue sous la pluie, s’adressant à mon frère Janusz, recouvert d’un manteau, lui, et abrité sous un parapluie. La dureté des yeux, des joues, de la bouche de ce valet sous la pluie torrentielle. La beauté. »
Testament. Entretiens avec Dominique de Roux |
1910
Witold Gombrowicz commence ses études avec des précepteurs. Les gouvernantes française et suisse allemande lui enseignent leur langue.
« Le jeu ! Ces batifolages nous permettaient d’oublier les dissensions plus profondes, plus dramatiques, qui se dissimulaient derrière, et nous facilitaient beaucoup les contacts avec ma mère. C’est sans doute de là que vient ce culte du jeu que l’on trouve dans mon œuvre, et ce qui m’a fait comprendre son immense importance dans la culture. »
Souvenirs de Pologne |
« La guerre que mes frères aînés et moi-même avons menée contre ma mère consistait surtout à contredire systématiquement tout ce qu’elle disait. Il suffisait que ma mère remarquât en passant qu’il pleuvait et une force très puissante me contraignait immédiatement à constater avec un étonnement étudié, comme si je venais d’entendre la plus grande absurdité : « Comment ! Mais qu’est-ce que tu racontes ? Le soleil brille ! »
Souvenirs de Pologne |
« En ces temps proustiens, il y avait abondance de domestiques, la gouvernante française s’occupait des enfants et le rôle de ma mère se bornait à donner des ordres au cuisinier ou au jardinier. Ce qui ne l’empêchait pas de répéter qu’elle « avait toute la maisonnée sur le dos », que « le travail ennoblit », et « le jardin, à Małoszyce, c’est mon œuvre », et « heureusement que j’ai le sens pratique ». [...]
« À mes moments de liberté, j’aime lire Spencer et Fichte » affirmait-elle en toute sincérité, bien que les œuvres de ces philosophes encombrassent les rayons inférieurs de la bibliothèque où ils resplendissaient de leurs pages non coupées. » Testament. Entretiens avec Dominique de Roux |