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Smorag-Goldberg : Langue perdue

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Smorag-Goldberg : Langue perdue


Małgorzata Smorąg-Goldberg : L’exil ou la fuite vers soi, dans le volume Gombrowicz, une gueule de classique ?, dir. Małgorzata Smorąg-Goldberg, éd. Institut d’études slaves, Paris, 2007.

Extrait :



Langue perdue


Malgré l’exil, Gombrowicz élabore pourtant son édifice littéraire à l’intérieur d’une seule langue, la langue polonaise. Mais il est significatif qu’il éprouve le besoin de réinventer, dans Trans-Atlantique - texte par lequel, il revient à la littérature, émergeant du tunnel de Retiro - son polonais, en le ressourçant dans la langue du XVIIe siècle, dans sa gratuité baroque, « délicieusement sclérotique » (l’expression est de Gombrowicz lui-même). C’est en effet la langue - ce dernier rempart de l’ancienne identité du narrateur - qui constitue dans Trans-Atlantique le terrain d’expérimentation. Le pari est fascinant, puisque l’exil, en remettant en question la situation d’unilinguisme que Gombrowicz avait connue jusque-là, le pousse à repenser son rapport à la langue. Pour la sauver, lorsque, de familière, nécessaire et évidente, elle est devenue exotique, il pousse cet exotisme jusqu’au bout. Pour la rendre universelle, il lui fait subir l’épreuve de l’idiomatique. Langue perdue, « langue sauvée », pourrions-nous répéter avec Elias Canetti, en reprenant le sous-titre de son autobiographie.
Là où un Nabokov ou un Kundera choisissent de passer à la langue de leur exil - l’anglais pour le premier et le français pour le second -, Gombrowicz décide d’écrire dans une langue quasi intraduisible, du moins pour ce premier roman de l’exil.
Sur le plan textuel, cela se traduit par la toute-puissance des procédés tels que : la stylisation, le choc des registres langagiers, le bricolage des idiomes, la répétition, l’allusion littéraire, la citation camouflée, comme si cette phase de mise à l’épreuve de la langue était nécessaire à Gombrowicz. En dehors d’une systématique déconstruction des stéréotypes nationaux qui passent par la langue, c’est aussi l’ivresse d’une parfaite maîtrise du « sous-sol » de sa propre langue, de ses ramifications souterraines, de l’intuition de ses déformations historiques ou régionales que Gombrowicz célèbre ici. L’effet obtenu est une impression de totale déréalisation. Tout se passe comme si Gombrowicz voulait créer un chaos sémantique d’où une langue nouvelle, la sienne, émergerait. Il s’agit d’une très précise déconstruction du sens, de ce sens qui présidait à l’ancienne perception de la réalité.
Pour reconstruire un nouvel ordre, pour passer du chaos au cosmos, le narrateur-héros fera l’expérience de cette nouvelle réalité, jusqu’à s’y perdre. Voilà ce que, sur un mode parodique, Trans-Atlantique met en scène.
Dès les premières lignes du roman, le lecteur est ainsi dérouté par une caricaturale codification du texte, les procédés de dialectalisation et d’archaïsation étant, d’une part, poussés à l’extrême, et d’autre part, complètement décalés par rapport au temps et au milieu social dans lesquels se déroule l’action du roman.
À cela s’ajoute un recours constant à la technique du bricolage textuel, consistant à intégrer des locutions proverbiales et des dictons créés de toutes pièces par l’auteur, à ceux déjà existants. Exemples : « Le pinson se porte comme un charme, alors qu’on rosse le Bélier » (« Zdrów czyżyk choć tam barana sztorcują ») ou bien « Le goujon est sauf, alors qu’on bâtonne l’écre-visse » (« Nic piskorzowi kiedy raka biją »). Même ceux qui semblent entièrement créés par Gombrowicz font des clins d’œil au lecteur, sonnent familièrement à son oreille, pour, l’instant d’après, basculer dans le grotesque.