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Ceccaty : La manipulation

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Ceccaty : La manipulation

René de Ceccaty : La manipulation, dans Gombrowicz vingt ans après, dir. Manuel Carcassonne, Christophe Guias, Malgorzata Smorag, éd. Christian Bourgois, Paris, 1984.


Le narrateur décide donc que Karol est fait pour Hénia et elle pour lui. Le fait que Hénia soit la fille de ses hôtes et que Karol soit soupçonné d un crime, pour lequel il a été renvoyé de l’armée est, bien sûr, fondamental. Il s’agit moins de pervertir Hénia que de révéler qu’elle « était devenue à priori violée ». En quoi consiste, dès lors, la « pornographie » du projet ? A voir l’invisible. A découvrir dans les deux adolescents une force obscène qu’ils ignorent eux-mêmes et qu’ils ne cessent de nier. Quand le narrateur avoue à Hénia qu’il aimerait la voir accouplée à Karol, elle nie farouchement. Et quand Karol accomplit un acte obscène (soulever les jupes d’une paysanne) c’est semble-t-il un acte gratuit qui ne concerne pas son rapport à Hénia. « Rien que ma pornographie pour se repaître d’eux ? » s’interroge Gombrowicz. C’est là qu’il rejoint Laclos et Sade : c’est dans la volonté même du manipulateur que réside la perversion de l’éducation. Les adolescents, eux, sont vidés de tout contenu. L’observateur surinterprète deux scènes : l’une où Hénia aide Karol à retrousser son pantalon et l’autre où elle écrase avec lui un ver de terre (préfiguration du crime dont ils seront complices). La première scène, anodine, est ainsi commentée par l’auteur observateur : « Ils s’unirent brusquement, non pas comme un homme et une femme, mais autrement, dans une offrande commune à un Moloch inconnu, incapables de se posséder, capables seulement de s’offrir - et l’accord sexuel qu’il y avait entre eux s’estompa, pour céder la place à un autre accord, à quelque chose de plus cruel sans doute, mais de plus beau. »
A plusieurs reprises, le narrateur se disculpabilise : il fait intervenir des forces mystérieuses qu’il ne maîtrise pas et remarque : « Toutes les situations dans le monde sont chiffrées. » (En réalité, c’est Frédéric qui a amené Karol face à Hénia et à Albert qu’elle va épouser.)
La manipulation à laquelle il se livre, il la réduit d’abord à la fascination qu’exerce sur lui la jeunesse et la répulsion que lui inspirent la vieillesse et déjà son propre âge. « Je sentis que ce jeune être voulait me séduire par sa jeunesse et c’était comme si j’allais, moi, un adulte, me compromettre irrémédiablement. » Et curieusement, c’est Frédéric qui exposera la théorie qui préside à l’intrigue générale : faire d’un être humain le personnage d’un drame dont on écrit soi-même la trame. « Il fallait commencer par les acteurs en les "combinant" d’une manière ou d’une autre, et bâtir la pièce à partir de ces combinaisons successives. Le propre du théâtre était de "faire ressortir ce qui existe à l’état latent chez des hommes vivants, disposant de leur propre clavier de possibilités". »