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Bolecki : Le bestiaire de Gombrowicz

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Włodzimierz Bolecki : Le bestiaire de Gombrowicz


Włodzimierz Bolecki : Le bestiaire de Gombrowicz, dans Gombrowicz une gueule de classique ?, dir. Małgorzata Smorąg-Goldberg, Institut d’études slaves, Paris, 2007.

Extrait :


II y a ici quelqu’un qui fait le malin et quelqu’un qui fait l’idiot ! [...] - Je suis comme dans une sombre forêt où les formes biscornues des arbres, le plumage et le jacassement des oiseaux vous amusent et vous leurrent de leur étrange mascarade, mais là-bas, tout là-bas, on entend le rugissement lointain du lion, le galop du bison et le pas feutré du jaguar.
Evenements sur la goélette « Banbury » dans Bakakaï


Ce n’est ni une animalisation ni une personnification. Car les animaux dans l’œuvre de Gombrowicz ne symbolisent ni la cruauté, ni la démocratie, ni même une morale neutre. Pour Gombrowicz la nature n’est donc ni rationnelle, ni absurde, ni source d’admiration, ni un havre de paix. Elle est, simplement. L’homme dans ce monde n’est donc ni un « animal intelligent », ni une « bête idiote », ni même une « bête sociale », bien que le social (c’est-à-dire l’« interhumain ») emprunte chez Gombrowicz des formes des plus sauvages. Que cela signifie-t-il ? Alors que les différentes générations des modernistes comme Witkacy, Miłosz, Nałkowska, Iwaszkiewicz, Wat, Herling et Szymborska, ont élaboré leur conception de l’homme dans la philosophie de la nature, prise dans son sens large, c’est-à-dire la nature en tant que phénomène de la vie en général, l’œuvre de Gombrowicz depuis son début témoigne d’une négation totale de cette philosophie centrée sur la nature. L’échange avec la nature n’a pas sa place dans l’œuvre de Gombrowicz.
Et pourtant, dans l’œuvre de Gombrowicz il n’y a pas non plus d’esthéti-sation romantique de la nature comme œuvre d’art (à la manière de Schelling), ni de « naturalisation » de l’art propre à période de la Sécession : les animaux ne jouent pas dans sa prose de fonction ornementale, comme il y en avait pléthore chez les premiers modernistes ou dans l’Art Nouveau [1]. Les animaux de sa prose ne subissent pas de métamorphoses grotesques, et ne sont pas non plus des accessoires de symbolique érotique. Leur apparition est dépourvue de toute valorisation esthétique, et avant tout, d’une quelconque visualisation (réaliste, fantastique ou symbolique). On ne pourrait dire du bestiaire de Gombrowicz ce que le célèbre père Chmielowski a écrit dans son encyclopédie de 1756 sous le nom « cheval ». À la question « comment est le cheval ? », il a donné une réponse brève et précise : « chacun le voit ». Car, justement, on ne voit pas du tout d’animaux dans les livres de Gombrowicz.
Si l’écrivain se sert dans son œuvre de motifs animaliers, c’est précisément pour remettre en question de manière tout à fait consciente la vision du monde traditionnelle et ses effets littéraires. Puisqu’il n’y a dans l’œuvre de Gombrowicz aucun élément caractéristique de cette tradition : il n’y a pas d’animaux en tant que symboles de la nature sauvage et mystérieuse, idyllique, belle ou sentimentale. Aucun lien n’existe entre la nature et l’homme dans les écrits de Gombrowicz, l’homme ne fait pas partie de la nature, ne subit pas ses lois inexorables, n’essaie pas de l’apprivoiser et ne l’observe même pas. Et lorsque l’écrivain se sert de noms d’oiseaux ou d’insectes, il ne le fait pas comme un amateur d’ornithologie ou d’entomologie. Réciproquement la nature n’est pas plus « témoin » ni partie prenante de l’existence humaine. Il n’est donc pas question chez Gombrowicz de la natura naturans, comme c’est le cas chez Leśmian ou Schulz. Il n’est pas plus question de quête post-nietzschéenne du modèle primaire de toute existence dans l’impétuosité de la nature.
Gombrowicz, même s’il connaissait bien la philosophie de Nietzsche, ne s’y intéresse pas du tout dans ce domaine précis. Il ne reste pas plus de trace dans son œuvre de la conception d’un autre grand maître de sa jeunesse : Schopenhauer, avec la nature comme volonté qui règne sur le monde. Il est vrai que le motif de la souffrance, inscrit dans le Journal, a certainement une ascendance schopenhauerienne, mais il est difficile de le retrouver dans ses nouvelles, romans ou pièces de théâtre. Il suffit de rappeler que dans Ferdydurke Jojo (c’est-à-dire Witold) « arrache les ailes et les pattes » de la mouche, dans Bakakaï, Stefan Czarniecki casse l’aile d’une hirondelle « pour qu’elle ne puisse pas voler », dans La Pornographie Witold assiste à la scène où le ver de terre se fait écraser, et dans Cosmos le même Witold ne fait pas couler la moindre larme sur le moineau pendu, et de plus, non seulement ne caresse pas le chat, pas plus qu’il ne le prend dans ses bras, mais tout simplement, il le pend.
En bref, la représentation littéraire des animaux chez Gombrowicz est loin de toutes les inspirations connues qui intéressaient des écrivains de sa génération : il n’y a donc ni philosophie de Nietzsche ou Schopenhauer, ni darwinisme (qui fascinait encore Miłosz), ni bergsonisme.
En revanche, l’œuvre de Gombrowicz déploie dans sa poétique une richesse étonnante d’emploi de motifs animaliers. Il est possible de retrouver le bestiaire de Gombrowicz à travers la parodie propre aux premières nouvel les du recueil Mémoires du temps de l’immaturité et de Ferdydurke, dans la symbolique d’Yvonne et du Mariage, dans les descriptions réalistes des Envoûtés, dans le grotesque de Trans-Atlantique jusqu’au drame épistémologique et ontologique de Cosmos. La réalisation littéraire et linguistique hors du commun de ce motif n’est pas, comme tout élément dans l’œuvre de Gombrowicz, hasardeuse et neutre, mais elle sert l’expression d’une problématique propre à l’auteur, avant tout anthropologique et littéraire.


[1] Comme chez Stanisław Przybyszewski, Wacław Berent, Maria Pawlikowska-Jasnorzewska, Bruno Schulz et bien d’autres.