Sidebar

Idioma

Menú principal

assi

Rosner : Le beau Mariage à la Comédie Française

Brak tłumaczenia

Rosner : Le beau Mariage à la Comédie Française


Jacques Rosner : Le beau Mariage de la Comédie Française, entretien avec Emilie Grangeray, dans le quotidien Le Monde, 4.05.2001.



Jacques Rosner monte Le Mariage de Witold Gombrowicz, faisant ainsi entrer l’auteur de Ferdydurke au répertoire de la Comédie-Française.
Né en 1936 à Lyon, Jacques Rosner a notamment mis en scène des pièces d’Armand Gatti, Goldoni, Corneille, Brecht, Thomas Bernhard et Shakespeare. Il vient de signer la mise en scène de Marie Hasparren, de Jean-Marie Besset, au Théâtre 14, alors qu’en 2000, il avait monté Après la répétition, d’Ingmar Bergman.


-En 1979, à Chaillot, vous aviez déjà monté “Opérette” (que Gombrowicz écrivit à Vence en 1966), puis, en 1982 à l’Odéon, “Yvonne, Princesse de Bourgogne” (Varsovie, 1938). Avec “Le Mariage” (Buenos Aires, 1948), vous bouclez la boucle du théâtre de Gombrowicz.


-Il me reste Histoire, sa pièce inachevée. Mais j’ai mis trente ans pour faire ces trois pièces, car il fallait que je trouve les bons théâtres pour les produire. Mon rêve aurait pourtant été de pouvoir faire en sorte que les trois pièces soient jouées en alternance...


- Comment avez-vous découvert Gombrowicz ?


-J’ai été mobilisé pour la guerre d’Algérie alors que je travaillais à Lyon avec Roger Planchon. En rentrant, un ami, le peintre Max Schoendorff, m’a conseillé de lire Ferdydurke qu’avait publié Maurice Nadeau. Ce texte m’a fasciné. Mais je n’ai pas tout de suite lu le théâtre de Gombrowicz. De même que je n’ai pas vu Le Mariage qu’avait monté Jorge Lavelli en 1964 au Théâtre Récamier.


-Comment s’est passée votre rencontre avec Gombrowicz ? Il vous avait demandé comment un « marxisto-brechtien » comme vous pouvait s’intéresser à lui, un homme de droite.


- Au printemps 1969, j’ai eu entre les mains le texte d’Opérette, qui était adressé à Roger Planchon. Une lettre de Geneviève Serreau [1] mentionnait par ailleurs que Gombrowicz souhaitait que la pièce soit rapidement montée, car il était très malade. Or Jorge Lavelli, indisponible, ne pouvait le faire. J’ai eu l’impression d’être devant une pièce qui voulait traiter de la totalité du monde, une pièce où se mêlaient l’ironie, le tragique et le comique. Georges Wilson - qui dirigeait alors le TNP - a accepté de programmer la pièce. C’est alors que Gombrowicz a souhaité me rencontrer. Je pensais qu’il voulait me faire passer une sorte d’audition. Or, quand je suis allé le voir à Vence, j’ai réalisé que ce qu’il souhaitait, c’était en fait me lire la pièce ; ce qu’il fit, plusieurs jours durant, en la commentant. Il m’a souligné que son théâtre était un théâtre réaliste, qu’il ne fallait pas y chercher de théorie scientifique, philosophique ou psychologique. Il est mort deux semaines plus tard.


-Pouvez-vous éclaircir la relation qu’entretenait Witold Gombrowicz avec le théâtre, lui qui qualifia la forme théâtrale de "perfide, répugnante, incommode, rigide et désuète" [2] ?


- Bergman disait aussi que c’est un métier louche, cruel et sale. Pourtant, Gombrowicz a souligné que le théâtre était son sex-appeal ; puisque c’est son théâtre, avant ses romans, qui lui a apporté le succès.


- Gombrowicz a laissé des indications très précises sur ses pièces en général, et sur “Le Mariage” en particulier. Il parle notamment du texte comme d’une partition symphonique où chaque acteur "doit se sentir comme un instrument dans un orchestre". De même, pour lui, Henri - le personnage principal - est le véritable metteur en scène de la pièce. Comment avez-vous .compose avec tout cela ?


-J’essaie de retrouver -à l’intérieur de l’œuvre la volonté même de Gombrowicz et je suis resté très fidèle à ses directives, j’ai ainsi poussé les comédiens à être des musiciens. En outre, il est vrai qu’Henri est le meneur et qu’il invente les choses. Je pense aussi que le personnage central, c’est Gombrowicz lui-même. Dans Le Mariage, Henri c’est Witold. D’ailleurs, la pièce aurait pu s’intituler La Vie imaginaire de Witold Gombrowicz. C’est l’histoire d’un homme qui est en Argentine pendant la guerre et rêve à ce qui peut se passer en Europe. Il met donc en scène, dans son imaginaire, ce qui s’est passé, se passe et se passera.


- Lisez-vous “Le Mariage” comme une pièce grotesque ou absurde, au sens où elle a parfois été comparée en cela à celles de Beckett ou de Ionesco ? Ou plutôt comme une parodie de Shakespeare ?


- C’est un mélange de styles. Il y a des moments tragiques, d’autres comiques. Ce n’est que de la fiction, mais en même temps c’est terriblement concret car on y parle de la peur, de l’envie d’aimer, de dominer les autres. C’est une pièce qui me fait rire autant qu’elle me fait pleurer. Henri dit : « Je suis fils de la guerre. » Moi aussi, je suis fils de la guerre : je suis né en 1936, mon père était juif polonais, et j’ai été en Algérie. De même, quand la mère dit qu’il faut faire des stocks, je sais de quoi elle parle, on n’est pas dans l’absurde du tout, mais dans le concret.
Je pense que Le Mariage est sa pièce la plus ambitieuse, son Hamlet et son Faust. La scène entre Henri et sa mère à l’acte III - que j’appelle la scène du viol - doit, à mon sens, beaucoup à Hamlet.


- De quoi selon vous “Le Mariage” est-il la métaphore ? Est-ce un drame de l’homme moderne dont "l’univers est tombé en ruine" ? Une remise en cause d’un nouveau monde, sans père ni Dieu ? Une métaphore du "héros-artiste qui, lui, veut percer les ténèbres" où "la divinisation" d’Henri s’effectue par la domination sur les autres hommes, comme la "divinisation " d’Hitler ?


- C’est tout cela. Mais on peut en faire une lecture plus simple : celle d’un homme qui rêve couché et se demande comment se débarrasser de son passé. C’est aussi évidemment l’histoire folle du siècle, avec son côté titubant, incompréhensible. « Je suis assoiffé d’honneur », dit le père d’Henri. Il y a en chacun de nous une volonté de pouvoir qui, dans le rêve, peut en effet aboutir à l’envie d’être dictateur.


[1] Sa traductrice avec Constantin Jelenski.

[2] Journal, 1966