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Bondy, Jelenski : Le troisième homme

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Bondy, Jelenski : Le troisième homme


François Bondy, Constantin Jelenski : A propos du “Mariage”, paru en français dans la revue La Règle du jeu, janvier 1995, n°15.

Extrait :



Au chapitre XV du Journal (1955), Le Mariage est évoqué en même temps que le roman Ferdydurke. Or, cette évocation omet l’un des motifs importants du roman, à savoir celui du troisième homme, ce tiers créateur et destructeur de la Forme. Car ce n’est véritablement qu’avec lui que naissent les relations interhumaines.
Dans le troisième acte du Mariage, Henri se pose cette question à lui-même : « Qui peut savoir si un homme est capable de tomber amoureux d’une femme sans la médiation d’un autre homme ? Il est possible qu’un homme ne soit capable de sentir une femme qu’à travers un autre homme. Peut-être est-ce là une forme nouvelle de l’amour. Autrefois, le couple comprenait deux êtres ; en comprendrait-il trois, aujourd’hui ! » Tout ceci fait écho à la présence, à la toute fin de Ferdydurke, au troisième homme, à la fois miroir et de l’autre côté du miroir. Rappelons que le narrateur du roman entendait fuir son intimité avec Sophie : « Qu’arrive ici tout de suite, sur-le-champ, un tiers, un inconnu, un autre, objectif et froid, et pur, lointain et neutre, qu’il déferle comme une vague et frappe en étranger cette familiarité tiède [...] ». Dans Roméo et Juliette, les amoureux partagent encore un même monde. L’entourage peut vouloir le détruire, il ne sera qu’un obstacle extérieur : il n’existe pas, dans cette relation, de tiers indispensable, sans lequel aucune relation ne serait possible. Gombrowicz, lui, « j’oserais dire : sans la moindre gêne », avec génie, a hissé sa pièce au niveau de Hamlet et de Faust. Ce sont « non seulement les souffrances humaines, mais toute une nouvelle qualité de l’humain en proie à son expression ».
À travers d’autres remarques, on décèle clairement que Gombrowicz, tout comme Alain Robbe-Grillet dans Les Gommes (ou d’autres écrivains qui, postérieurs à Freud, ont intégré le thème d’Œdipe dans leurs œuvres) trouve amusant de faire tomber les psychanalystes dans le piège d’une situation cocasse où c’est le Fils qui est détrôné par son Père. « J’aimerais mordre la main du psychiatre qui aurait envie de vider ma vie intérieure. »
Dans l’une des interprétations les plus pertinentes du Mariage — celle de Karl Dedecius dans Un drame comme parodie du drame (parue dans Akzente en août 1971), sa polonité est mise en relief, de même que les liens essentiels qui la relient aux prédécesseurs comme aux successeurs (Mrozek, par exemple, avec Tango) polonais de Gombrowicz. Certes, il est possible que Le Mariage puisse se comprendre comme un retour réel dans une Pologne irréelle. Il y a bien, en effet, ces deux soldats polonais qui se demandent à quoi peut bien ressembler désormais leur patrie.
Mais il est tout aussi probable que ce polonisme ne soit pas le motif fondamental de la pièce — « Je suis terriblement polonais, et d’humeur terriblement anti-polonaise », écrit Gombrowicz dans son Journal. Les premiers commentateurs argentins de la pièce, traduite alors en collaboration avec son auteur, avaient trouvé la pièce très « argentine », et l’avaient mise en parallèle avec des sentences de Gombrowicz sur la culture argentine.
Dans Testament, sont évoqués au même chapitre Le Mariage et Trans-Atlantique, les deux œuvres majeures des années argentines. Le Mariage y est envisagé comme parodie du drame génial, dans lequel Gombrowicz aurait « fait passer un peu de son génie propre ». Le thème serait celui du « passage de l’Église de Dieu à l’Église des Hommes ».
Cette singularité surprend. Pour Gombrowicz, la multiplicité est le donné primordial : les rites et les actes humains se créent sous la poussée des relations des hommes entre eux — cet « entre deux milliards d’humains ».
L’action de la pièce tirerait son origine dans ces visions de situations en germe. « Jusqu’à la première moitié du second acte, je ne savais pas où je voulais en venir ». Un jour, en l’écrivant, il aurait tant pleuré que des larmes seraient tombées sur le papier, tellement le choquait cette vision de la cohérence intérieure du malheur.