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Benoist : La bouche de Catherette

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Benoist : La bouche de Catherette


Jean-Marie Benoist : L’ancillarité chez Gombrowicz, dans le Cahier de l’Herne Gombrowicz, dir. Constantin Jelenski et Dominique de Roux, 1971.

Extrait :



Une prise à la lettre de la métaphore installe le langage dans un lieu où sont subverties ensemble les catégories de propre et de figuré, où se trouve mis en question leur partage même dans sa possibilité. Lieu de castration. Or, le lieu à partir duquel peut s’accomplir cette subversion n’est autre que la sphère de l’ancillarité dont nous ne pouvons déjà plus dire qu’elle constitue un thème, puisque de son lieu/non-lieu, non seulement tous les thèmes se trouvent problématisés et questionnés, mais tous les signes aussi, puisque c’est de là que se pose la question même du signe. C’est en tout cas l’un des déchiffrements possibles de ce rire gigantesque qui couronne en apothéose la rébellion ancillaire de Dans l’escalier de service, et qui en fait la marque d’une négativité à jamais non médiatisable et surtout pas dans la tristement linéaire logique que l’on appelle dialectique.
C’est aussi l’un des niveaux les plus pertinents auxquels l’on puisse faire l’exégèse de ce statut inouï de la servante Catherette de Cosmos ; inouï au sens propre, puisque l’on ne l’entend jamais parler, ou presque jamais, et que c’est pourtant la fuite horrible et dissymétrique de sa lèvre, de sa bouche qui va fonctionner comme le premier signe en relation avec la bouche de Lena, d’une relation arbitraire d’abord, qui, peu à peu, conquiert une manière de nécessité dans l’absurde, à mesure que progresse dans le délire herméneutique l’architecture en trapèze (ou théorème de Thales) de tout le récit : bout de bois pendu ; moineau pendu ; chat pendu ; Lucien pendu. La croissance exponentielle de cette structure trapézoïde se trouve convoquée dans la diachronie du récit sous des formes biaisées : les deux voyageurs (Fuchs et Witold) commencent par découvrir le moineau pendu, ce signifiant errant et disponible, en instance de signifié, et qui vivra toujours en sursis par rapport à la venue de celui-ci : même lorsque s’établit la congruence possible (découverte de l’objet bout de bois pendu), puis probable (apparemment probable, puisque c’est le narrateur lui-même qui pend le chat, démiurge impatient, maïeuticien trop pressé du sens) et, enfin, évidente (la découverte de Lucien pendu faite par le narrateur seul), le signifiant ainsi structuré laisse ouverte la question de son sens, de son signifié possible : le « monde » de Cosmos est un univers de symptômes, un univers où tout symbolise, et même sur-signifie sans que l’on sache jamais quoi : le syndrome se construit peu à peu, devient pressant, urgent (c’est même là le seul intérêt « dramatique » du récit, cette quête du syntagme complet, oscillant toujours sans jamais se décider entre la paranoïa et l’enquête policière « objective »), et le mystère jamais ne sera levé qui s’interpose entre la violence croissante de la question et le silence têtu de la réponse. Transgression du partage entre les modèles critiques, cliniques et policiers de l’herméneutique, Cosmos les confond ludiquement, tout de même que, par cette sorte de feed back diagonal que constitue la pendaison du chat par Witold (voyageur-narrateur-auteur) se trouve en quelque sorte raillée en une ironie supérieure la dichotomie du propre et du figuré. Cette pendaison du chat, acte nocturne et solitaire, qui subvertit aussi le partage entre acte gratuit et acte motivé, constitue un génial coup de force de Gombrowicz — l’auteur sur son texte, destiné à en accélérer diagonalement le « dénouement », c’est-à-dire la venue du signifié, qui en fait ne viendra jamais.
Or, toute cette longue opération de déconstruction du signe et du sens en quoi consiste Cosmos, ce théâtre saturé de signes qui se moque de la sémiologie en la poussant à son point extrême, vers ce potlatch de l’acte herméneutique où tout bascule, se trouve sous-tendu par une chaîne de bouches et de lèvres, par une oralité loquace ou dévoreuse ou, plus exactement, par une labialité inquiétante dans laquelle on peut se plaire à lire une mise en question de la parole, donc du signe. Cette chaîne labiale culmine dans l’acte par lequel Witold, non seulement « regarde le cadavre dans la bouche, mais introduisit (son) doigt dans sa bouche. Je tendis la main. J’introduisis mon doigt dans sa bouche. Ce ne fut pas si facile, les mâchoires étaient déjà contractées, mais elles se relâchèrent — j’introduisis le doigt, je rencontrai une langue inconnue, étrange, et un palais, qui me parut froid et très bas comme la voûte d’une cellule, je retirai le doigt. »
C’est donc dans cet acte qui surdétermine les gestes du coït, de la fellation, de la masturbation, que culmine la chaîne de la labialité, acte par lequel le doigt du déchiffreur, du chercheur de signifiés, se trouve dérisoirement reconduit à toucher l’origine de tout langage, un palais, une luette, mais morts, silencieux, gardant à jamais le secret d’un sens qui est resté enfermé, celé par le surcroît de leur garrulité, étouffé mort-né par la danse bavarde de tous les signes. Or, l’origine de cette chaîne labiale n’est autre que la bouche de la servante dans son étrangeté : le clinamène par lequel vont dévier et s’agglomérer les atomes de sens dans une danse délirante, c’est la lèvre de la servante, Catherette : « Ce que j’avais remarqué chez cette personne était un étrange défaut sur sa bouche d’honnête femme de ménage aux petits yeux clairs : cette bouche était comme trop fendue d’un côté, et allongée ainsi imperceptiblement d’un millimètre, sa lèvre supérieure débordait, fuyant en avant ou glissant presque à la façon d’un reptile, et ce glissement latéral, fugitif, avait une froideur repoussante de serpent, de batracien, mais pourtant il m’échauffa, il m’enflamma sur-le-champ, car il était comme une obscure transition menant à son lit, à un péché glissant et humide... »