Brak tłumaczenia
Bach
« C’est comme si quittant la zone du plaisir [Beethoven], on pénétrait dans une autre sévère, dure, aride et amère. Avec pour objectif l’initiateur suprême, le Moloch tragique, le tyran : Bach ! Bach est ennuyeux ! Objectif. Abstrait. Monotone.
Mathématique. Désincarné. Cosmique. Géométrique. Bach ennuyeux ! C’est une hérésie pour laquelle vous risquez aujourd’hui dans le milieu musical de perdre votre honneur. Pourtant, regardez bien les prêtres qui célèbrent ce rite de Bach, regardez-les dans les yeux : durcissement, raidissement dans l’abstraction, sévérité qui ressemble à celle avec laquelle on jetait autrefois des corps de petits enfants en offrande aux dieux. » Journal, 1960 |
Mozart
« Énigme de la « lumière » chez Mozart. Comme Gide a raison lorsqu’il dit que, dans sa musique, le drame, éclairé de l’intérieur par l’intelligence, par l’esprit, cesse d’être dramatique. Une merveille dans le genre du premier allegro de la symphonie “Jupiter” est le couronnement de ce processus intérieur : c’est le triomphe de l’éclat, qui règne sans partage. Mais chez Mozart comme chez Leonard de Vinci, j’aperçois un élément de perversion, quelque chose comme une dérobade illicite devant la vie –le sourire de Léonard (surtout dans ses dessins) et le sourire de Mozart ont ceci de commun : c’est comme s’ils aspiraient à un jeu interdit, comme s’ils désiraient s’amuser et trouver du plaisir dans ce qui n’est pas permis, même dans ce qui fait mal… un jeu subtil et coquin, malin, une sensualité hyperintelligente… mais cette combinaison même, « sensualité intelligente », est déjà un péché… La gamme ascendante et descendante dans “Don Giovanni” n’est-elle-pas une plaisanterie bizarre, un pied de nez à l’enfer ? Dans les hauts registres, Mozart a parfois un petit parfum d’interdit, de péché. »
Journal, 1961 |
Chopin
« Le contraire de Mozart serait Chopin – chez lui la faiblesse, la délicatesse, affirmées avec une fermeté et une ténacité peu communes, se tournent en force, courage de regarder la vie en face.
Il « s’enferre tellement en lui-même », met tant d’obstination à être ce qu’il est, que cela lui confère une réelle existence – quelque chose d’inflexible, d’invincible. Par ce biais de l’autoaffirmation, le romantisme de Chopin, son désespoir, son égarement, sa complaisance, son abandon aux puissances du monde, fétu de paille dans le vent, se mue en classicisme sévère, en discipline, en maîtrise de la matière, en volonté de domination. Que son héroïsme se révèle émouvant et sublime lorsqu’on l’examine sous cet angle, tandis qu’il paraît si déclamatoire, si rhétorique, si mièvre, lorsqu’on le considère sous l’angle « patriotique ». « Je m’accrocherai avec la dernière énergie à ce qu’il y a de plus fragile en moi » semble proclamer toute son œuvre. » Journal, 1961 |
Beethoven
« Ah, les quatuors ! Seize quatuors ! C’est une chose que d’approcher de temps en temps de l’un d’eux, en passant, et une autre que d’entrer dans l’édifice, de s’y enfoncer, de cheminer d’une salle à l’autre, d’errer dans les galeries, d’embrasser du regard les voûtes, d’examiner l’architecture, de découvrir les inscriptions et les fresques… les doigts sur les lèvres. La forme ! La forme ! Ce n’est pas lui que je cherche ici, l’édifice n’est pas plein de lui mais de sa forme, qui, tout au long de son élaboration, a vécu des aventures, des métamorphoses, des enrichissements, pareille aux créatures mi-humaines mi-inhumaines des contes très anciens. […]
S’il n’y avait eu ce chant exquis à quatre cordes, cette polyphonie raffinée du quatuor, cette musique d’une subtilité extrême distillée par quatre instruments, je ne serais sans doute pas tombé soudain amoureux de Beethoven. » Journal, 1960 |