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Czerminska : Les genres « bas » dans l’autobiographie

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Czerminska : Les genres « bas » dans l’autobiographie


Małgorzata Czermińska : Les genres « bas » dans l’écriture autobiographique de Witold Gombrowicz, dans le volume Gombrowicz, une gueule de classique ?, dir. Małgorzata Smorąg-Goldberg, éd. Institut d’études slaves, Paris, 2007.

Extraits :



Toute l’écriture de Gombrowicz est « cousue » d’autobiographie. Toutefois, il n’y a que trois ouvrages qui s’inscrivent explicitement dans la tradition du « document personnel ». C’est en premier lieu le Journal, programmé pour créer une forme tout à fait nouvelle de littérature diaristique qui soit à la fois intime et publique, fictive autant que documentaire, bref, un défi lancé au lecteur ; en second lieu le Testament, autobiographie intellectuelle, où l’ordre des événements vécus n’est qu’échafaudage modeste pour présenter l’œuvre et les opinions de l’artiste. Dans cette autobiographie, écrite à la fin de sa vie, Gombrowicz règle ses comptes avec lui-même autant qu’avec son public à qui il adresse un message. Le troisième texte, Souvenirs de Pologne qui, malgré la liberté de la forme et le caractère « décontracté » suggérés par le titre, s’organise en une entité de mémoires, étendue sur les années de l’avant-guerre dans le contexte de la famille et du milieu de l’écrivain. Périphériques, les Pérégrinations argentines se réfèrent à la convention des souvenirs de voyage.
Dans tous les écrits personnels de Gombrowicz, on remarque le double sens dans lequel va le mouvement des inspirations génériques. Souvenirs de Pologne et Pérégrinations argentines étaient destinés à la radio, un réseau populaire, moderne et médiatique. Or, nous y trouvons les reflets de la problématique déjà présente dans l’œuvre dite « haute » : dans le roman (Trans-Atlantique) et le Journal. Parallèlement, le vecteur de l’inspiration emprunte le sens inverse car, comme nous pouvons l’observer, à l’origine des écrits autobiographiques que l’écrivain prenait très « au sérieux », se trouvent non pas les genres littéraires stricto sensu, mais les formes paralittéraires, journalistiques. À l’origine du Journal, il y a le feuilleton, car c’est la formule dont il est question dans la correspondance échangée par Gombrowicz et Jerzy Giedroyc où tous deux discutent l’idée préliminaire d’une rubrique mensuelle qui serait réservée à Gombrowicz dans la revue Kultura. Le Testament se réfère également à un autre genre journalistique populaire qu’est l’interview. Que Dominique de Roux n’ait pas réellement interviewé Gombrowicz, et que la forme du dialogue n’ait été qu’une mystification gombrowiczienne, ne change guère le fait que, pour son autobiographie intellectuelle, Gombrowicz a choisi une forme propre au genre journalistique. [...]
Les Pérégrinations argentines, bien qu’à l’origine un cycle de chroniques destinées à la radio, sont un ensemble qui diffère par sa composition des Souvenirs. L’autonomie de leurs éléments est mise en valeur par leurs titres respectifs (et qui répondent souvent au nom des villes en Argentine). Les épisodes convergent autour d’une mini-anecdote et finissent par une pointe bien dégagée. Le style de la « gawęda », rappelant celui des Souvenirs, est tissé sur un tout autre canevas générique. Il n’est plus question de continuer les mémoires interrompus dans les Souvenirs juste avant le début de la guerre. Tout lecteur qui s’attendait à une suite de l’histoire de la vie et de l’œuvre de Gombrowicz, appliquée cette fois à la période argentine, sera déçu. Or, c’est ce que pourrait suggérer l’édition du livre où les deux récits s’enchaînent dans l’ordre de la chronologie biographique, inverse à celui de la rédaction. En effet, Gombrowicz a commencé la rédaction des Souvenirs après avoir fini le cycle sur l’Argentine.
Le modèle générique des Pérégrinations n’est pas fourni par les mémoires, mais par le récit de voyage. Ce n’est pas la première fois que ce genre se retrouve au centre de l’intérêt de l’écrivain. Il l’avait déjà fait dans la période de l’entre-deux-guerres, quand il avait parodié son style dans les deux récits des Mémoires du temps de l’immaturité et dans quelques-unes de ses correspondances d’Italie. Mais les chroniques sur l’Argentine sont exemptes d’ironie. Au contraire, l’écrivain prend bien soin d’expliquer tous les détails intéressants de ce monde exotique dans lequel il vit, qu’il observe avec attention et qu’il connaît si bien, au lecteur de l’autre côté de l’océan, lecteur à qui il devient de plus en plus difficile de quitter son pays.
Le principe organisateur du récit n’est plus le temps comme c’était le cas dans les Souvenirs, mais l’ordre de l’espace. Dans les Pérégrinations argentines, on est surpris de trouver un thème presque tabou dans le reste de l’œuvre, à savoir le paysage et la nature. S’il apparaît, c’est en tant que l’objet d’une raillerie, d’un persiflage. Au début de Yvonne, princesse de Bourgogne, l’auteur se moque sans pitié des admirateurs des couchers du soleil.
Gombrowicz s’est maintes fois défini comme homme de culture. Le fameux passage dans le Journal où l’auteur raconte son face-à-face avec une vache (et l’échange des regards qui l’a accompagné) prouve son aliénation et son sentiment d’hostilité à l’égard de la nature. Or, dans les Pérégrinations, les descriptions des gens qu’il rencontre - des autochtones, mais aussi des Polonais, des artistes ou « mangeurs de pain » - côtoient des descriptions tout à fait imprévues des phénomènes de la nature. [...]
Le paysage occupe une minuscule fraction du Journal comme dans le paragraphe sur Tandil où, avant d’aller à la recherche des écrivains locaux, Gombrowicz mentionne la vue sur laquelle donne sa fenêtre. En revanche, dans le cycle des chroniques pour la radio, Gombrowicz se permet de contempler le paysage, peint les formes, les couleurs, évoque des sons. Certes, il continue à confirmer que l’expérience de l’union avec la nature lui reste étrangère, mais les Pérégrinations sont l’unique texte qui en mentionne furtivement la nostalgie. Peut-être son attitude à l’égard de la nature rappelle celle à l’égard de la peinture : l’agressivité déclarée voile la curiosité. Gombrowicz combattant l’art n’avait-il pas une collection de toiles modernes dans son appartement à Vence ?