Bankiet
« Il nous faut, Messieurs, contraindre le roi au roi, emprisonner le roi dans le roi, il nous faut enfermer le roi dans le roi... »
Écrit en 1946, à la même époque que Le Mariage, en Argentine, Le banquet fut publié pour la première fois en avril 1953 dans Wiadomości, le journal de l’immigration polonaise à Londres.
Witold Gombrowicz a rajouté ce conte à son recueil Bakakaï lors de sa publication à Cracovie en 1957.
Reprenant une scène typique de conte de fées : un banquet somptueux à l’occasion du mariage du roi Gnouillon avec l’archiduchesse, Witold Gombrowicz fait éclater les lois du genre, en faisant déraper le récit de son niveau stéréotypé dans une grotesque débandade. Au lieu d’illustrer une morale exemplaire, le récit raconte comment un prince laid et cupide, démasque l’hypocrisie de sa cour entraînant à sa suite ses courtisans qui souhaitaient cacher les vices royaux et l’enfermer dans son rang social. Encore une fois, Witold Gombrowicz prend à rebrousse-poil un lieu commun et une Forme idéalisée : le caché et le honteux finissent toujours par dynamiter l’ordre convenu et le carcan des règles sociales.
La scène de banquet à la cour royale se retrouve aussi dans le théâtre de Witold Gombrowicz : Yvonne, princesse de Bourgogne, Le Mariage et Opérette, où le féerique est cassé par un détournement ironique. Le banquet est un exercice de style où Witold Gombrowicz démonte le rouage classique du récit au profit d’une construction neuve, entre grimace et d’ironie.
Extrait :
Ô honte ignominieuse ! horreur inavouable ! Le cœur du roi était si endurci dans sa bassesse, si trivial dans sa mesquinerie qu’il ne convoitait point de gains important - que non ! ce n’était jamais que pour de misérables petites sommes en liquide qu’il était prêt à rouler jusques au fond des enfers. Monstrueux phénomènes : les pots-de-vin ne tenaient pas le Roi moitié autant que ne le faisait le plus simple pourboire ; oui, les pourboires étaient pour lui ce que les saucisses sont pour les chiens ! La salle entière se figea dans une muette attente. Ayant perçu le son bien connu, si doux à ses oreilles, le roi Gnouillon reposa sa coupe et, oubliant dans sa bêtise infinie la création entière, il se pourlécha les lèvres subrepticement, c’est du moins ce qu’il croyait. Le pourléchage royal éclata telle une bombe face au banquet qui devient écarlate de honte.
L’archiduchesse Christine-Adelaïde ne pût étouffer un cri de dégoût. Les yeux des ministres, de la cour, des généraux et du haut clergé se tournèrent d’un bloc vers la personne du vieil homme qui, dans ses mains usées, maintenait depuis des lustres le timon de l’Etat. Que faire ? Comment réagir ?