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Maurice Nadeau et "Les Lettres nouvelles"

Brak tłumaczenia

 


Maurice Nadeau est né à Paris en 1911. Après des études à l’École normale supérieure de Saint-Cloud, il enseigne les lettres modernes jusqu’en 1945. Il devient alors journaliste à Combat dont il dirigera la page littéraire jusqu’en 1951 tout en collaborant à d’autres journaux comme critique littéraire. En 1953, Nadeau fonde une revue mensuelle et une collection Les Lettres nouvelles qui seront éditées par René Julliard. Découvreur d’œuvres nouvelles, il publiera pour la première fois des écrivains français et étrangers dont quelques-uns, comme Malcolm Lowry, Bruno Schulz, Witold Gombrowicz, Georges Perec, Michel Houellebecq atteignent la célébrité.
En 1965, à la mort de l’éditeur René Julliard, Les Lettres nouvelles continuent aux Editions Denoël jusqu’en 1976. La revue cesse alors de paraître et les ouvrages de la collection seront publiés en coédition chez Robert Laffont, puis chez Papyrus et, depuis 1979, en S.A.R.L « Les Lettres nouvelles/Maurice Nadeau ».
De 1958 à 1976, Maurice Nadeau a édité les œuvres de Gombrowicz, à l’exception du Journal Paris-Berlin publié chez Christian Bourgois qui a continué, après 1976, à faire traduire et publier le reste de son œuvre.
Le troisième et dernier tome du Journal a été publié en coédition Bourgois/Nadeau.
Maurice Nadeau est l’auteur de plusieurs ouvrages de critique dont Gustave Flaubert écrivain (1969) et Histoire du Surréalisme (1945) et Documents surréalistes (1948) traduit dans le monde entier. Il est également le directeur de la revue La Quinzaine littéraire qu’il a fondée en 1966.



Maurice Nadeau : Editer Gombrowicz, témoignage dans Gombrowicz en Europe 1963-1969, 18 juin 1986, éd. Denoël, Paris, 1988.

Extraits :

 

Editer Ferdydurke :

 
C’est Kot Jelenski qui, le premier, me parla de Gombrowicz et me conseilla de publier Ferdydurke dont il me transmit la traduction par Brone. La lecture de Ferdydurke me convainquit d’avoir affaire à un auteur insolite, original et de grand talent. Je décidai de le publier dans la collection des Lettres nouvelles. A l’époque, je devais soumettre mes choix au comité de lecture de Julliard, dont je faisais d’ailleurs partie, et que dominait François Le Grix aux goûts très classiques. Le verdict de Le Grix, en dépit des circonlocutions polies dont il l’entoura, fut net : Ferdydurke était un ouvrage inclassable, difficile à lire, sans qualités particulières, et encore plus difficile à vendre comme premier ouvrage d’un auteur polonais inconnu.
J’attendis une année avant de présenter à nouveau Ferdydurke au comité de lecture. Entre-temps avaient paru dans Preuves une nouvelle de Witold et les commentaires de François Bondy. J’insistais sur l’importance reconnue par François Bondy à cet auteur polonais et sur la nécessité de le publier dans ma collection qui était de recherche et de découverte. Il ne toucherait sans doute pas le grand public, mais le rôle que je jouais chez Julliard avec « Les Lettres nouvelles » m’imposait de le publier. Ferdydurke fut à nouveau refusé sous le prétexte que la traduction n’était pas au point. C’est pourtant dans cette traduction que, l’année suivante et après que j’eus à nouveau présenté Ferdydurke au comité de lecture, René Julliard trancha en faveur de la publication : « Puisque cela fait plaisir à Nadeau, publions ! » Mon obstination avait fini par l’emporter.
J’ignorais alors, je ne l’ai appris que par Witold lui-même dans le numéro des Cahiers de l’Herne qui lui est consacré, que Ferdydurke avait été présenté à Julliard quelques années avant mon arrivée dans sa maison d’édition, et qu ’il avait été refusé à l’instigation de François Le Grix. Comment celui-ci aurait-il pu se déjuger ?
Me demander si j’aimais personnellement Ferdydurke ou si, plutôt, j’en reconnaissais la valeur comme éditeur, est sans objet. Je choisissais pour ma collection les ouvrages, à la fois, qui me plaisaient et dont j’appréciais la valeur sans me demander s’ils auraient ou non un succès commercial, pour la raison simple que je ne participais pas aux risques financiers, ce qui me laissait une grande liberté. Cette liberté, acquise chez Julliard, j’ai pu la faire reconnaître ensuite chez Denoël où j’ai continué de publier les ouvrages de Witold.
Gombrowicz était un auteur exigeant. Dans presque toutes ses lettres il se plaint, récrimine à propos des retards des traducteurs ou de la publication. Il reconnaît que la publication de Ferdydurke en français a entraîné la publication en Allemagne, en Angleterre, aux États-Unis, mais il me reproche sans cesse de ne pas faire assez pour lui. C’est un auteur pressé, anxieux, impatient de « consolider » comme il dit sa « situation littéraire » à Paris, clef selon lui d’une reconnaissance par le monde entier de sa qualité de grand écrivain. Il craint que je ne le place au rang des autres auteurs que je publie, alors que, dans son esprit, il les domine tous. Il ne prend pas avec sérénité l’information selon laquelle je m’intéresse, par exemple à Bruno Schulz. Il voudrait que je fasse davantage de publicité pour ses ouvrages. En fin de compte il me voit trop occupé d’activités diverses : comme critique, comme directeur de revue, et ne me tient pas pour un véritable éditeur.
Christian Bourgois, devenu directeur littéraire de Julliard après la mort de celui-ci, lui convient davantage. C’est à lui qu’il confie ce Paris-Berlin que je semble avoir dédaigné. Dans ses Entretiens avec Dominique de Roux, il prend plaisir à dire : « Voici de nouveau un ouvrage qui échappera à Nadeau. » Ce sera ma punition.
Il est vrai que je ne comprends pas son impatience, son désir de publicité. Par manière de plaisanterie, je lui prédis que, de toute façon, il a le temps pour lui, qu’il obtiendra un jour le prix Nobel. Je ne croyais pas si bien dire : en 1969, quelques mois avant sa mort, deux académiciens suédois me rendent visite, Gombrowicz est sur les rangs des lauréats possibles. Ma plaisanterie était plus sérieuse que je ne le pensais moi-même. Et la nouvelle de la disparition, relativement précoce, de Witold, m’oblige à un retour sur moi-même : il avait toutes les raisons de penser que le temps lui était compté, qu’il lui fallait se faire reconnaître de son vivant pour un des grands écrivains de notre époque.


Rencontre à Paris en 1963  , décrite par Gombrowicz dans son Journal, 1963 :


Soirée en compagnie de Geneviève Serreau et Maurice Nadeau. Petit dîner. Truffes à la Soubise et Crème Languedoc Monsieur le Duc. Je parle, moi, eux m’écoutent. Humm... ça me déplaît plutôt : lorsque, de Buenos Aires, je suis allé en province, à Santiago del Estero, je me taisais, moi, et c’étaient eux, les écrivains locaux, qui racontaient : parle toujours celui qui veut « se montrer », le provincial.


La même rencontre décrite par Nadeau : 


J’avais réagi auprès de lui à propos du compte rendu qu’il y donnait d’un dîner auquel je l’avais invité lors de sa venue à Paris. Loin d’en reconstituer l’atmosphère qui était de la part de Geneviève Serreau et de moi-même admirative à l’égard de son œuvre, amicale à l’égard de sa personne, il en avait fait une réunion bien « parisienne », avec dégustation de plats sophistiqués de son invention, dans l’intention d’apparaître comme le paysan du Danube aux prises avec la futilité mondaine de Saint-Germain-des-Prés. Je ne pus m’empêcher de lui dire que s’il transformait les faits à ce point, il y avait lieu de se méfier à propos d’autres faits ou rencontres dont est constituée une grande partie de son Journal. A quoi il m’avait répondu qu’il traitait faits et rencontres en écrivain, avec sa vérité à lui, qui allait au-delà de la simple exactitude. Ce que j’étais prêt à admettre. Mais son œuvre entière n’était-elle pas un combat contre les stéréotypes ?
En fait, j’étais étonné, et mortifié de ce que Witold nous ait traités, Geneviève Serreau et moi, en « Parisiens » alors que nous nous tenions le plus possible hors du milieu mondain et littéraire, que toute mon action d’éditeur s’inscrivait contre les engouements de la mode, parisienne ou non. Ferdydurke n’était pas un livre à la mode. Sa publication était même tombée dans un silence complet. Pour en faire parler, au moins dans ma revue, j’avais demandé un article à un ami, Mario Maurin, qui vivait aux États-Unis. Ce fut, je crois, le premier article sur ce premier livre en français de W.G. Il a paru six mois après la publication du livre !
J’étais également étonné que, durant le dîner, Witold se soit montré insensible à l’amitié que nous lui montrions en auditeurs attentifs (et respectueux) alors qu’il déversait sur nous des propos qui visaient à le grandir à nos yeux, ce qui n’était pas nécessaire. Il tranchait à propos des uns et des autres, se prétendait supérieur à tous, qu’il avait précédés de toute façon, vouait Sartre aux gémonies, faisait de la chair à pâté de Butor, Ionesco ou Beckett, bref, montrait une telle hypertrophie du moi qu’à sa question, posée à brûle-pourpoint : « Que pensez-vous de moi ? », je répondis, sans réfléchir : « Vous m’agacez. » Witold accusa le coup. Je regrettais aussitôt d’avoir montré de l’impatience à l’égard d’un écrivain que j’admirais et que je n’aurais pas voulu blesser. Je le soupçonnais de nourrir un complexe d’infériorité qu’il lui fallait compenser par de la faconde. Une faconde qui faisait partie de la représentation qu’il avait voulu nous donner. J’avais imaginé de tout autres rapports avec lui. J’étais déçu.
Ce dîner avec Witold avait été précédé d’un déjeuner offert par Julliard chez lui, avec quelques autres convives et collaborateurs de sa maison. Witold débarquait à Paris. À ce déjeuner, il eut, bien entendu, la vedette. Il se montra éblouissant, déployant la panoplie entière de la séduction et fit sur tous la meilleure impression.